Et vous, que faites-vous de votre temps de cerveau disponible ?*

Jamais, dans l’histoire de l’humanité, nous n’avons eu autant de temps de cerveau libre disponible.

Dans son dernier ouvrage « Apocalypse cognitive » [2], Gérald Bronner, sociologue, estime ce temps à environ 5h par jour.

La science, la technologie, l’espérance de vie, l’augmentation de la productivité, les progrès de la médecine et de l’hygiène nous ont libéré du temps de certaines tâches répétitives. Le temps de travail a été divisé environ par deux dans le monde industriel. Le temps consacré au tâches domestiques a également beaucoup diminué même si, et c’est un autre débat qui mérite que l’on s’y attarde, en 2010, 71 % des tâches ménagères et 65 % des tâches parentales en France sont effectuées par les femmes, ce qui n’est pas sans risque sur la surcharge mentale [3].

Bref, nous pouvons nous en réjouir mais, comme l’indique Gérald Bronner dans son ouvrage, « ce temps de cerveau disponible, nous pouvons aussi bien l’utiliser pour apprendre la physique quantique que pour regarder des vidéos de chats ».

Les écrans sont devenus au fil des ans de véritables monstres attentionnels. Ce sont ces derniers qui vont dévorer ce temps de cerveau disponible et plus largement capter notre attention. Selon le dernier Baromètre de la santé visuelle en France, les jeunes de 16 à 24 ans passent en moyenne 3h30 quotidiennement sur leur smartphone, et 2h47 sur un ordinateur. Aux Etats-Unis, les utilisateurs de téléphone vérifient leur appareil près de 150  fois par jour.

Nouvelle addiction

Les GAFAM [4], même si, ne l’oublions pas, ont pu rendre l’accès au numérique au plus grand nombre, ont consciemment mis en place des stratégies pour nous rendre addict aux écrans et capter notre attention. Un ancien ingénieur de Google, Tristan Harris a décrit en détail ces procédés lors d’une conférence TED [5].

Sean Parker, ancien président de Facebook, ne cache pas que les algorithmes du célèbre réseau ont été conçus pour créer une addiction qui ressemble à celle des joueurs frénétiques devant les machines à sous. Les études scientifiques suggèrent que l’addiction aux réseaux sociaux ressemble aux dépendances aux drogues et à l’alcool.

Like, tweets, partage, notifications, messages, …flattent notre réputation et étanchent notre soif de visibilité et de statut social. Au niveau cérébral, ces notifications activent notre circuit de la récompense et de la dépendance.

Sur le web, les vidéos s’enchainent pour nous rendre accros et si elles ne sont pas vues en entier créent un sentiment d’insatisfaction cognitive. Les réseaux sociaux nous incitent à ne pas rater l’information (cruciale). Un néologisme désigne cette peur la FOMO (fear of missing out). Cette peur de rater quelque chose, cette envie de consulter ses sms ou notifications à toute heure, peut porter à conséquence, celle de moins dormir.

Dans un article paru dans Le Monde [6], les Français ont perdu entre 1h et 1h30 de sommeil en 50 ans. Des études montrent que ceux qui possèdent un ordinateur ou un smartphone dans leur chambre dorment quarante-sept minutes de moins en moyenne que les autres. La moitié des jeunes adultes reconnaissaient consulter leur téléphone portable au moins une fois par nuit pour lire courriels ou sms [7]. Le PDG de Netflix déclarait récemment « nos compétiteurs sont Facebook, YouTube et le sommeil ».

Autre constatation : environ un Français sur deux âgés de 18 à 24 ans affirme avoir des difficultés relationnelles avec leur entourage, leurs parents notamment, à cause de leur utilisation excessive du portable.

Que faire ?

L’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique [8] nous livrent quelques conseils :

1

S’intéresser aux activités numériques de nos enfants.

2

Organiser des limites de temps et de lieu de connexion en dialoguant avec eux.

3

Montrer l’exemple et garder une consommation maîtrisée de vos activités numériques et inciter vos enfants à faire de même.

Peut-être pouvez-vous visionner avec eux l’excellent film d’animation « Like and Follow » ? Destiné à sensibiliser les plus jeunes aux ravages des écrans, il fut diffusé dans 80 pays et dans plus de 160 festivals et a également remporté 30 prix à ce jour. 

 
 

 

Stéphanie Bertholon, psychologue clinicienne spécialiste de la dépendance au smartphone, nous donne quelques pistes : « Une recommandation s’applique à toutes personnes accros au téléphone, voire à celles qui ne le sont pas (encore) : éteindre les notifications !
Elles sont comme la cloche du chien de Pavlov qui annonce une récompense. Et on ne peut plus s’en passer » [9].

Autre piste issue de la thérapie d’exposition suggérée par Stéphanie Bertholon : se confronter à l’ennui, comme par exemple, s’obliger à ne pas sortir son smartphone lorsque l’on attend le bus ou dans une salle attente.

Gérald Bronner ne dit pas autre chose : « il est essentiel de préserver des moments d’attente, de lenteur et d’ennui afin de laisser notre créativité s’exprimer » [10].

Et si l’on pratiquait l’art du NIKSEN ?

Ce concept néerlandais, littéralement « ne rien faire », signifie prendre du temps pour déconnecter et profiter sans culpabilité, sans pensées négatives et sans stress et a fait ses preuves selon Olga Mecking, auteure du livre « Le livre du niksen » [11].

Dans son ouvrage, l’auteure décrit son cheminement et explique comment l’oisiveté peut avoir des bienfaits sur notre santé, notre efficacité et notre créativité.

De grands auteurs comme Sénèque ou Bertrand Russel, prix Nobel de littérature, ont vanté les mérites de l’oisiveté.

Il m’arrive régulièrement de m’installer confortablement sur mon canapé avec un café et de regarder par la fenêtre, de ne rien faire, sans pensées et même sans culpabilité…

Et vous, cela vous tente-t-il de consacrer une partie de votre temps de cerveau disponible pour pratiquer l’art du niksen ?

Benoit Ebrard
Training Advisor

Notes et références

* Le « temps de cerveau humain disponible », selon l’expression formulée en 2004 par Patrick Le Lay, alors président-directeur général du groupe TF1, est ce que la chaîne de télévision TF1 vendait à ses annonceurs : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible » (Source : Wikipedia)

[2] Apocalypse cognitive, Gérald Bronner, PUF Editions, 2021

[3] Attention ! Femmes en surcharge mentale, Cerveau & Psycho, Mars 2018

[4] Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft

[5] https://www.ted.com/talks/tristan_harris_how_a_handful_of_tech_companies_control_billions_of_minds_every_day#t-844681

[6] https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/03/12/le-temps-de-sommeil-moyen-des-francais-passe-en-dessous-de-7-heures-par-nuit_5434599_3244.html

[7] Global Mobile Consumer Survey, Deloitte, 2016

[8] https://www.open-asso.org/

[9] Les nouvelles addictions, Cerveau & Psycho, Mai 2018

[10] Apocalypse cognitive, op. cit

[11] Editions First, 2020

Pouvoir & Neurosciences